Le marché de l’informatique en 2021, notre analyse :

Une crise, vous avez vu passer une crise ?

Replongeons-nous il y a un an en mars 2020 : nous entrons dans une crise sans précédent et tout laissait présager d’une année noire pour l’emploi : certaines entreprises mettent fin aux périodes d’essai, d’autres gèlent leurs recrutements et la mise en place du télétravail s’effectue à marche forcée et dans la précipitation.

Les entreprises comme les candidats se sont adaptés à la situation : ce qui était “impossible” est devenu possible (Embauche de collaborateurs en visio sans rencontre physique, 100% télétravail, …).

Le marché de l’emploi IT a naturellement subi une baisse (de l’ordre de 15% des postes à pourvoir pour Externatic) mais il ne s’agissait finalement que d’une simple baisse de pression car ce dernier demeurait déjà très tendu avant la covid et le ratio nombre d’offres/candidatures est resté finalement à un niveau très élevé. En somme, Covid ou pas Covid, la pénurie de compétences était toujours présente, elle est juste descendue d’un cran.

Et après ? L’effet ciseau !

Après, cette période d’adaptation a suivi une période de rattrapage puis un bond spectaculaire du nombre de postes à pourvoir. À titre d’illustration, le nombre de missions confiées à Externatic a presque doublé entre Mars 2020 et aujourd’hui (près de 450 postes à pourvoir actuellement).

Si la demande de compétences explose ce n’est absolument pas le cas pour les candidatures qui au contraire se tarissent. L’ensemble des entreprises, y compris les plus visibles, nous font part de la baisse significative du taux de candidatures mais aussi de la qualité de ces dernières, et ce, malgré de nombreux investissements : jobboards, campagne de communication, …

Inflation or not inflation ?

Demande qui augmente brutalement et offre qui baisse donne inévitablement une inflation des rémunérations. Si le marché est resté raisonnable jusqu’à fin d’année, cette inflation s’est fortement accentuée depuis début 2021.

Nous constatons même un signal faible mais qui tend à se développer à savoir des phénomènes de surenchères tant sur les parties salariales que sur les avantages en nature, congés, télétravail,…

Si l’entente entre les entreprises concernant les débauchages est restée jusqu’à présent “loyale”, ce n’est plus vraiment le cas et la guerre des talents fait rage et la 1ère arme reste le salaire.

On pense notamment à cet ingénieur développement en début d’année qui a reçu plusieurs propositions d’entreprises et qui s’est vu gagner, en l’espace de 3 jours, 17 % par rapport à la rémunération demandée initialement, et ce, à coups de surenchère de 5K€ entre deux entreprises.

Au-delà de cet effet ciseau offre/demandes, il existe également d’autres phénomènes de fond expliquant cette inflation sur lesquels nous reviendrons par la suite.

Quelles sont les raisons de cette inflation …explications !

Mais où sont passés les candidats ?

Si la raison “situation économique” pourrait paraître évidente ce n’est finalement pas le cas, car les candidats IT disposent de pléthore de propositions et ne craignent donc pas réellement le fait de perdre leur emploi : croulant sous les offres et souvent harcelés, ils se retirent de plus en plus ou se cachent même sur les réseaux sociaux (suppression des tags, absence de contenu du parcours, …).

La raison reste en fait la situation sanitaire et les impacts potentiels sur la vie personnelle des candidats qui explique cette faible mobilité. Ainsi selon notre étude auprès d’un panel de candidats : en cas de changement d’employeur, 78 % d’entre eux redoutent la perte de leur organisation personnelle s’il y avait de nouveaux confinements.

L’explosion de la demande ?

La forte progression est due à des phénomènes connus depuis plusieurs années mais ceux-ci se sont fortement accélérés avec l’effet covid :

1) La digitalisation qui crée des opportunités business pour les entreprises et fait exploser les investissements IT générant d’importants besoins en ressources et compétences. La Covid a démontré l’importance de l’IT pour assurer sa pérennité et sa croissance : l’informatique longtemps considérée comme un centre de coûts est plus que jamais devenu un centre de profit !

2) Des écosystèmes startup qui se développent à grande vitesse avec l’apparition de scale-up intégrant des plans de recrutements en cours ou à venir de plusieurs centaines de collaborateurs à horizon de quelques années.

3) L’implantation régulière en province d’entreprises parisiennes ou internationales à la recherche d’opportunités / viviers de recrutement mais également de réponses au souhait d’un meilleur cadre de vie pour leurs collaborateurs suite à la covid.

Le  fort développement de certaines d’entre elles, implantées il y a seulement quelques années, qui ont pu constater tout l’intérêt d’un site en région (Salaires plus raisonnables, absentéisme moindre, bureaux plus abordables, …)

Remote… un nouvel accélérateur d’inflation  ?

La guerre des talents fait aussi rage au-delà de l’arc atlantique et la covid a fait tomber les barrières avec l’avènement du télétravail.

Le terrain de jeux n’est plus local mais devient international y compris en régions.

La conséquence directe : certaines entreprises non implantées proposent des CDI en télétravail depuis la province avec des rémunérations supérieures au marché local.

Ce phénomène, décrit comme un signal faible dans notre analyse de 2019/20, prend aujourd’hui une certaine ampleur sans être non plus encore prégnant.

Certains employeurs locaux qui avaient pourtant des rémunérations supérieures au marché et donc une certaine attractivité doivent aujourd’hui parfois faire face à de sérieux concurrents parisiens ou internationaux notamment nord-américains.

Si ceci est un risque pour les entreprises locales, il peut aussi devenir une opportunité pour celles qui adapteront leur mode de fonctionnement “télétravail” et pourront aussi trouver des ressources et compétences au-delà de leur zone géographique.

A titre d’exemple, un éditeur nantais pratiquant le  télétravail à 80 % nous a demandé d’élargir nos recherches à des candidats pouvant résider jusqu’à 150 km : la proximité n’est plus un critère. Ceci permet notamment d’approcher des zones moins en tension et donc d’augmenter le potentiel de candidats éligibles en évitant potentiellement les rémunérations locales parfois hors de portée.

Le retour en grâce de l’ingénierie ?

La covid a prouvé tout l’intérêt de l’informatique pour les entreprises et est désormais un centre de profit sur lequel il est nécessaire d’investir. Longtemps considéré comme une fonction support ou fournisseurs de moyens, l’IT a longtemps été relégué derrière les entités commerciales, financières ou industrielles qui restaient prioritaires.

Une des explications possibles est donc sans doute un rattrapage des années perdues avec le retour en grâce des métiers ingénieurs. Induseo, notre activité recrutement pour l’industrie, constate d’ailleurs le même phénomène sur un secteur différent de l’informatique.

En 2001, j’ai recruté un ingénieur ESEO débutant disposant d’un simple stage au salaire de 210 000 francs !! Soit aujourd’hui environ 31/32 K … sur ces dernières années ce type de profil était rémunéré entre 32 et 37K … autrement dit le salaire de l’ingénieur n’a pas forcément suivi l’inflation lors de ces 20 dernières années.

Franck Gascard, CEO d’Externatic

Un rattrapage des rémunérations pour l’arc atlantique ?

Si les entreprises s’implantent massivement sur l’arc atlantique, elles ne le font pas uniquement pour sa qualité de vie, la qualité des infrastructures, le maillage d’écoles et formations, ….

La qualité des compétences présentes en locales est une raison, mais l’aspect financier en est une autre : le niveau de rémunération à compétences égale est inférieure à celui d’autres zones du territoire.

Il est donc probable que nous assistions à un phénomène de rattrapage de l’arc atlantique sur d’autres parties du territoire comme Paris, Lyon,… le tout exacerbé par l’effet covid et l’ouverture vers le télétravail

Si les rémunérations sont plus importantes sur des zones comme Paris, la croissance de ces dernières sur l’arc atlantique reste plus forte.

Benjamin CASSERON, DG d’Externatic

Quelles sont les perspectives ? Le développeur à 100 K€ en 2030 ?

Une croissance annoncée par le gouvernement de 5 à 6% pour 2021 avec une concentration sur la fin 2021 ceci signifie une croissance multipliée par 3 ou 4 par rapport aux niveaux habituels.

C’est une accélération jamais vécue même sur la dernière grande période de croissance en 2000 / 2001.

S’il n’y avait pas de nouvelle vague de covid, nous assisterons probablement à un grand jeu de chaises musicales avec des turnovers sans doute très important et un retour des candidatures sur le marché.

Nos clients DRH de grands groupes comme les startups ou les éditeurs anticipent déjà le fait que les départs qui auraient pu s’effectuer en 2020 vont finalement se réaliser en 2021 et vont se cumuler avec les démissions de l’année en cours.

Sabrina Blanchet, DG d’Externatic

Le retour des candidats ne signifiera sans doute pas l’arrêt de l’inflation des rémunérations et sans doute même le contraire.

Vu la pénurie, les candidats disposant de quelques années dans les entreprises et dont les  rémunérations n’ont pu suivre l’évolution forte et rapide du marché, malgré des augmentations, se réajusteront en changeant d’employeur. 

Pour les entreprises, il s’agira de conserver leurs ressources clé et donc sans doute de s’aligner sur le marché ou les propositions concurrentes.

Les phénomènes explicités précédemment à savoir effet ciseau, développement du remote, rattrapage géographique et des catégories socioprofessionnelles lié à l’ingénierie ne rendent aujourd’hui plus impossible à long terme un scénario à la nord-américaine avec des salaires d’ingénieur aux environs des 100K€.

En somme la machine à inflation risque de tourner à plein régime sur les prochaines années sauf crise économique qui invaliderait ce scénario. Cette hypothèse d’une crise notamment une surchauffe ou une crise financière ne sont néanmoins pas à exclure de part notre connaissance du passé.

Les salaires de l’informatique sont une sinusoïdale avec des périodes d’augmentations, mais aussi des périodes de fortes baisses (2001/2002, 2008/2009, …), ceci expliquant finalement la faible évolution sur 20 ans sur les fonctions d’ingénierie… néanmoins ce début d’année reste record même par rapport à des périodes d’euphorie du fait de forts mouvements de fond liés à la covid

Franck GASCARD, CEO d’Externatic